Regardons-nous
On a pleuré
on a crié
on a tristesse
on a vomi au fond des bois
seule et apeurée
on a appelé au secours
quand la mort
emportait
ceux que nous aimions
Regardons-nous
car nous sommes
fortes et grandes
malgré l’amertume de la perte
Nous avons trouvé la douceur
Aujourd’hui je suis là
devant vous.
Je vous écris comme il pleut
une pleine page de vie
comme si le ciel était une page
et mon corps, le stylo
On meurt et pourtant,
pour aussi éphémères qu’on soit,
être sur terre est une splendeur.
J’ai beaucoup de lumière en moi
beaucoup de volume
Et vous aussi.
Je le vois je le sens
Ouverture, ouverture,
c’était plat, c’est devenu pluriel
(à sa chienne) Tu es en terre et je suis sur terre
J’ouvre mes bras en dormant désormais
avant, je dormais-foetus
renfrogné dans ma peur
Maintenant mes nuits sont des vies dans lesquelles j’enfonce la vie même.
Maintenant mes nuits sont des jours en puissance
Et je respire
Et je respire
Et je respire
Et si des parties de moi meurent
Ce n’est que pour mieux renaître
Pour que chacune des phrases que je prononce pour vous
commencent par des verbes
Toutes nos vies sont des odes aux verbes
Nous mangeons nous pleurons nous souffrons
Nous buvons nous rions nous sourions
Pleurs, et l’instant d’après, joies
J’aime la palette de nos vies
les lits que nous occupons
ah j’ai occupé tant de lits
les vélos que nous enjambons
les côtes que nous montons et avons montées
les thés brûlants comme des mots brûlants
les poèmes d’amour en graffitis dans nos coeurs
les animaux caressés et élevés
et tués et aimés et chéris et mangés et sauvés sans que ce ne soit un paradoxe
ceux qui nous ont sauvées
ceux qui nous ont rendus humaines bien plus que nous l’étions avant que nous les côtoyons
ceux qui nous ont reniflés pour apprendre à nous connaître ou au contraire s’éloigner de nous car notre odeur ne leur convenait pas
j’ai coupé du bois
traversé des rues
marché sur des trottoirs
engueulé des chauffards
écrit des slogans miteux sur des pancartes délavées
castré le maïs deterré la pomme de terre
planté le couteau dans de la chair vivante
nettoyé des sabots
offert des carcasses aux vautours
tout ça je l’ai fait pour vivre
étudié la solitude derrière mon ordinateur
vendu des lampes et des frigos
sur des sites obscurs
volé de la nourriture
récupéré des chaises à la déchetterie
pour pouvoir y asseoir des amis.
Eu de la visite, bonne ou mauvaise,
soupçonné des choses qui se sont avérées
vraies
posé du scotch sur des cartons
observé les miettes et les mouettes
pris des cours de rien et des ateliers de tout.
Fait des stages où l’on apprend à faire rire et à faire pleurer
Nous sommes nos propres marionnettes rieuses
Nos propres bestioles frivoles et amoureuses
Si nous le décidons,
nous pouvons rire.
La vie est ainsi faite qu’elle ne te laisse pas
t’installer trop longtemps dans un sentiment
soudainement toujours viennent
mille choses vivre en toi
Et si je dis des choses trop niaises
regardez-moi bien dans les yeux
vous y trouverez sûrement plus de profondeur
Après la mort on a le droit de toute façon
de dire des niaiseries
Et si encore après ça vous pensez toujours que tout cela est niais
venez sur ce plateau
dites le mot
amour
il suffira
vous comprendrez
son poids
Après savoir que tout peut finir en une fraction de seconde
on a le droit
La mort c’est comme une explosion
elle dissémine partout autour de toi
les bouts de la perte
multipliant ainsi finalement
les raisons
de rester vivante
Ces bouts flottent comme des planètes de galaxie ou un mobile d’enfant
et ce mobile cosmologique constamment nous rappelle
qu’on ne fait pas que perdre
dans la mort
on gagne, aussi.
On gagne une force
les petits soucis deviennent plus petits encore
et les petits sourires, eux, deviennent plus grands
les coups pris, eux, restent des coups pris
les bleus les bosses reviennent
toquer à la porte souvent
les choses sont
on ne peut pas les empêcher d’être
le sanglier de renifler
la canne de chasser le poisson
et moi de faire comme je peux
“comme je peux” c’est énorme déjà
on pourrait faire moins
que ce que l’on peut
quel bonheur de trainer mes poumons sur cette terre
comme on traîne derrière soi un ballon gonflé à l’hélium d’anniversaire
JOYEUX ANNIVERSAIRE
à la femme qui parle
à la joie
et aux pots de fleurs
JOYEUX ANNIVERSAIRE
à tous les locataires à vie,
les artistes,
les funambules
à tout ce que je n’ai pas acheté dans toutes les brocantes
que j’ai faites pour pouvoir payer les croquettes
du chien les mois de disette
à mes parents qui enfantèrent la bouche
que vous voyez là
qui vous parle
JOYEUX ANNIVERSAIRE
au monde
nous sommes tout
et pouvons tout être
si nous oublions
qui nous sommes
comme Pandore il ne me reste
qu’une chose ce soir : l’espoir
pas celui de partir
celui de rester
et de crier
gloire aux vivants
et aux morts
qui sont
une seule et même chose
!
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