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Chicane, ta voix est capable de transformer le monde

J'ai écrit ce texte à propos du spectacle JOYEUX ANNIVERSAIRE CHICANE, de la compagnie Carte Vitale Acceptée.


    La première chose que Chicane fait, c’est chantonner. Plus exactement, il fait des bruits comme des bruissements de plaisir, mais il en ressort, si l’on tend son oreille sensible, de la musicalité. Tout un paysage sonore (au sens de R. Murray Schafer) apparaît, il est indéniablement rythmique et musical.

Et il se raconte chez certains que le chant est toujours le début d’un cri. 


Non, ce n’est pas la première chose qu’elle fait.

Ah bon ? 

Non.

Alors c’est quoi ?

C’est dire “moi”. 


Chanter et dire “moi”, est-ce que c’est pas la même chose ?


De toute façon, la plupart du temps, Chicane cherche ses mots.

Il nous dit “alors alors alors alors alors” et nous le répète

“alors alors alors alors alors” comme si il allait constamment 

se passer quelque chose


Chicane est constamment 

au bord du langage


au bord de la chose


le bord


la frontière


Parce qu’il a l’air, comme ça, de chercher ses mots, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Il les connaît les mots. Au fond de lui, il les sait. Il sait très bien ce ce qui est écrit dans sa cage thoracique. Son texte intérieur est tout formulé. Pas de problèmes, oh non, pas de problèmes ! Simplement, il ne sait pas bien les récupérer car les mots se sont échappés, ils flottent dans l’univers au lieu de flotter correctement dans sa bouche, avec sa langue à lui, ses cordes vocales. Les mots qui devraient être à lui sont devenus aux autres.


C’est donc peut-être, à travers ses mots, la frontière qu’il cherche. Entre lui et les autres.


Cette frontière qui apparaît floue dans son monde : est-ce son anniversaire ou celui de l’autre ? Est-ce son gateau ou pas le sien ? Est-ce lui qui décide de sa chanson ou le public ? On ne sait pas. On ne sait pas non plus s’il aime ou s’il est en colère.


Alors, sa voix cherche parce que sa voix est capable de transformer le monde, son monde. Par ses mots, son monde se forme. 


Ce sont les mots qui vont l’aider à créer son bord.


La voix du clown d’Adèle Daléas va au fond de la gorge. Dans le creux de la caverne Novarinesque du langage. C’est elle qui lui permet de progresser, à un certain moment du spectacle, du “moi” vers le “moi, je”.


URGENCE ! DANGER ! Quoi ? Où ? Comment ? On ne comprend pas tout et ce n’est pas le but. C’est comme dans la vie. On souffre grand et puis on est en joie. On a joie grande et puis on est larmes.


C’est son anniversaire, et pourtant manquent les couleurs. Le clown est blanc et ses cheveux aussi, lui qui a des attitudes assimilables à l’enfance, est-il déjà vieux d’avoir vécu trop d’injustices ? On ne connaît pas l’âge de Chicane. Il n’a pas d’âge. Il se contente de vivre sur la terre qui tourne comme une horloge.


Chicane continue sa route vers la parole, courageusement, inlassablement et terriblement tendrement. 


On a envie de lui crier : 


DIS-LE CHICANE ! VAS-Y, DIS-LE ! 

ON EST AVEC TOI ! ON T’ECOUTE ! 

ON TE CROIT ! DIS LES MOTS !


On rêverait d’une représentation où le public l’aide à parler. Lui renvoie les mots dont il a besoin, comme on jette des pétales de fleurs ou du riz à un mariage depuis son petit panier en osier. Mais le public de Chicane l’aide symboliquement à parler, oui.


Puis, arrive le “toi, c’est pas moi” et le “mais j’ai pas dit oui”. Affirmations violentes mais nécessaires, centrales dans ce spectacle qui nous perturbe de manière subtile et nécessaire autant qu’il nous enrobe d’une douceur infinie.


On est toute entière pendue aux lèvres de Chicane pour sa voix, mais c’est aussi son corps qui parle. Adèle Daléas nous fait une démonstration de maîtresse avec son mouvement qui se réfère au butô, au théâtre physique et aux techniques clowns.


Son corps et sa voix, ensemble, se dédoublent pour survivre. Dans le lointain mais proche, incompréhensible mais tellement touchant, intime et secret : on est fascinée.


Les personnes présentes et l’artistes échangent des chants, et la boucle se boucle. Elle conclut dans une autre langue que celle-ci, sa langue familiale : 


Il a l'expression d'une fleur,

la voix d'un oiseau,

et l'âme de la pleine lune

d'un mois d'avril.

 

Il a dans ses mots la chaleur

Et le froid de l'hiver

Sa peau est aussi dure que l'arbre

Que le vent fouette.

 

Et il a un cœur de poète

D'un grand garçon et d'un homme-enfant,

Capable d'aimer avec délire,

Capable de sombrer dans la tristesse.

Il a un cœur de poète,

D'un vagabond et d'un mendiant.

C'est ainsi que je l'ai connu

Et c'est ainsi qe je l'ai connu

Et c'est ainsi que j'aime qu'il soit,

Il a le cœur d'un poète.


Il a l'arrogance du soleil,

Un regard franc,

Sa peau neigeuse devient du feu.

Près de moi

C'est un ami et un amant fidèle,

Il voit les étoiles,

Il marche à mes côtés en rêvant

De belles choses.


Alors, pour la grande artiste-clown Adèle Daléas, j’ai envie de réécrire le poème : 


Elle a l'expression d'un soleil,

la voix d'une roche en feu,

et l'âme de la montagne la plus brumeuse

d'un mois d'août.

 

Elle a dans ses mots la caresse

Et le coup de poing de l'hiver

Sa peau est aussi dure que le sol

Que la neige recouvre.

 

Et elle a un cœur de poétesse,

D'une grand femme et d'une enfant,

Capable d'aimer avec délire,

Capable de sombrer dans la tristesse.

Elle a un cœur de poétesse,

D'une fugitive et d'une pirate.

C'est ainsi que je l'ai connue.


Elle a l'arrogance d’une étoile,

Un regard franc,

Sa peau givreuse devient chaleur.

Elle voit la nuit elle voit le jour,

Elle marche dans le monde réalisant

De belles choses.




Avec amour, avril 2025.

Hortense Raynal



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